Carnet de Révolution

Alger

Manifestation du 22 février,

8h30 vendredi, l’Algérie se réveille, personne ne sait encore quel tournant va prendre cette journée. Même si beaucoup l’ont rêvé. Deux hélicoptères tournoient dans le ciel. Leur bruit est angoissant. Ils sont au dessus de l’artère principale de la ville comme des abeilles sur un pot de miel.

L’appel a été lancé quelques jours plus tôt : « Vendredi 22 février après la salât el joumouha (prière du vendredi ndlr), les Algériens sont appelés à manifester ». D’où ? De qui ? Personne ne saurait le dire, si ce n’est les rumeurs, elles parlent toujours beaucoup les rumeurs, cette fois « des islamistes », les membres de la campagne électorales aussi l’écoutent la rumeur. Et elle leur convient bien, elle leur a permis de maintenir la chape de plomb sur le peuple. Sauf que la rumeur ne dira jamais si elle avait raison ou tord. Dans quelques heures le peuple va la faire mentir.
La journée est belle, ça fait six heures que les hélicoptères tournent. Les prêches provenant des enceintes des mosquées viennent de s’étreindre en appelant, sous ordre de l’Etat, le peuple au calme, à rester chez soi. Mais l’Algérie est curieuse, alors elle s’est mise aux fenêtres avec ses femmes, avec ses hommes devant les immeubles.
Avec les jeunes supporters de football et militants de tous bords dans la rue. Un bout d’Algérie est dans ses rues, moment historique. De l’artère principale, rue Didouche-Mourad à la place Maurice-Audin. La foule remonte l’artère Mohamed V, en direction du palais présidentiel. Elle scande la fin du régime des Bouteflika. Elle n’a plus peur.
La police tente de contenir la masse mais personne n’avait prévu ce qui est entrain de se Passer.
Les manifestants, des centaines de jeunes hommes, au visage cassé, les yeux explosés par les gaz lacrymogènes ou autre choses pris sans doute plutôt. Une poignée de femmes sont là aussi bloquées, ils ne pourront plus avancer. Les gens se regardent, se toisent, s’évaluent, méfiant comme à l’ordinaire en Algérie. Un mouvement de foule provoque un début de panique, les jeunes hommes aux visages cassés se referment sur les rares femmes tel des cocons : « Ne bougez pas, Madame on vous protège ». L’Algérie vient de commencer sa mue. La rue est pleine de crainte que les sourires fragilisent.

La foule reprend voix, jamais des slogans de manifestation criés n’aurons été aussi clairs à mes oreilles. Alger grogne depuis ses entrailles les femmes exultent et déploient les Youyoux depuis leur fenêtre. Dans le quartier du Telemly, tout le monde est dehors. Impossible de rester sans sortir, sans voir, sans frissonner. L’oxygène est dehors.

A l’image de son peuple le 22 février la rue était jeune…

écrit le 24 février 2019

12 04 2019






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